Depuis l'enfance, je dessine quotidiennement et n'ai jamais vraiment envisagé d'exercer un métier qui ne soit pas relié à ma passion.
Je me souviens clairement du moment où j'ai été cataloguée comme "fondue de dessin": C'était en CM2 alors qu'une camarade de classe me lança ce qui se voulut être comme une pique :
" -Toi alors, ce n'est pas parce que tu sais dessiner que tu es spéciale !".
Cette remarque anodine m'avais laissée perplexe à plus d'un titre.
Enfant, j'étais très timide et désirais plus que tout m'effacer, ne souhaitant pas autre chose que d'être tranquille, bien en sécurité, dans ma "bulle créative" où tout était permis. C'était bien malgré moi que mes gribouillis avaient éveillé la curiosité des autres écoliers. Il m'étais inconcevable que mon amour du dessin me rende "spéciale". Au contraire ! C'était mon paravent, ma cachette, mon sanctuaire.
Au collège, un autre événement insolite a sûrement participé à me lancer pour de bon dans la profession :
En fin d'année, mon professeur d'Arts Plastiques s'excuse auprès de moi, une petite adolescente mal dans sa peau. Il a "perdu" mon dernier dessin et, pour s'excuser, m'offre un magnifique livre : "L'Histoire de l'Art" par Ernst Gombrich.
Le raz-de-marée "manga "
Je lisais avec délectation des mangas tels que "Ranma 1/2", "Dr Slump", "Sailor Moon", "Gunnm", "Dragon Ball", "Vidéo Girl Aï", "Monster", une passion commune avec mon frère aîné.
J'assimilais sans m'en rendre compte les codes de cette bande dessinée venue d'ailleurs. (A l'époque, les mangas étaient une denrée bien plus rare et considérés comme moins nobles que la bande dessinée belge). C'était l'époque bénie du Club Dorothée avec le doublage d'anthologie de séries animées comme "City Hunter" (Nicky Larson en France), les "Chevaliers du Zodiaque" ou encore "Captain Tsubasa" (rebaptisé "Olive et Tom" chez nous) .
Au lycée, ma personnalité n'avait pas beaucoup évolué.
Taciturne, je laissais libre cours à ma fantaisie à travers le dessin, élève médiocre en Mathématique, brouillonne en Histoire (un vrai problème avec les dates qui malheureusement ne s'est pas arrangé !) mais plutôt à l'aise en Français car passionnée par tous ces romans et histoires qui ne demandaient qu'à être illustrés.
J'étais alors en section littéraire spécialité "Arts Plastiques".
Maintenant que je suis moi-même devenue mère, c'est avec bien plus d'indulgence que je vois mon éducation passée. Cette ouverture d'esprit, exceptionnelle en son temps, que mes parents avaient envers cette enfant rêveuse et loin de se soucier d'exercer "un vrai métier" comme on disait alors.
Le mythe de l'artiste fumiste
C'est (encore) une réalité : Une partie de la société, plus ou moins consciemment, voit toujours les professions artistiques comme des domaines superflus dignes de simples passe-temps.
Les "artistes" sont des rêveurs qui ne participent pas à l'Economie.
Pourtant, nous sommes formés également, souvent pendant de nombreuses années (et pour nombre d'entres nous, dans des écoles fort exigeantes et onéreuses).
Devenus professionnels, nous cotisons. Mais même dans les plus hautes sphères de l'Etat, il semble qu'il y ait une forme d'élitisme récalcitrant : Comme si "artiste" ne rimait pas avec "professionnel". Alors, quand nous sommes malades, nous ne recevons pas d'indemnités. Quand nous attendons un enfant, pas de congés maternité ou paternité. Comme si l'on voulait nous punir d'aimer notre travail et d'avoir la prétention de vouloir en vivre.
D'un autre côté, de plus en plus d'entreprises font appel à des illustrateurs et dessinateurs de bande dessinée. Les choses évoluent, lentement mais sûrement et je rêve de voir un jour les professions artistiques gagner leurs lettres de noblesse auprès du grand public.
Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. - Pablo Picasso
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